Histoire Vaucottoise d'une famille Fécampoise

D'après le récit de Lisbeth Jillet 

Mon père, Eugène Jillet achète un terrain, ainsi que son ami Serge Basille, sur la colline, côté Yport, à Vaucottes....

Voulant défricher le terrain empli de broussailles, mon père y met le feu qui gagnant de l'importance, traversa la route !

Puis il transporta sa cabane de la route de Bolbec (à Fécamp) à Vaucottes vers 1935...

J'ai un vague souvenir d'y avoir dormi dans de drôles de hamacs et d'être un peu oppressée par l'absence totale de bruit.

Petit à petit, toute la famille va s'installer et s'organiser. Gilbert se souvient que papa montrait, à tous, les plans d'agrandissement du chalet, faits par un architecte, mais dont il s'attribuait les mérites.

Entre un petit bungalow, appartenant à Monsieur et madame Blanc (acheté beaucoup plus tard par la famille Thierry), et « çam'suffit », notre chalet, mes parents avaient autorisé les Lerondel à installer 2 cabanes, Mickey et Minnie.

Au tout début de la guerre, l'oncle Alex fut stupéfait de ne plus retrouver traces des deux cabanes, sans doute démolies par les Allemands pour construire leurs blockhaus.

Les Basille, à côté, avaient carrément construit une maisonnette en dur...Si l'on ajoute aux Basille, les Declerk, les membres de la famille et les amis, ça faisait bien du monde.

Des « chiottes », hâtivement fabriquées en fougères, étaient plus rigolotes que pratiques, car la tête des usagers dépassait !

Dans le terrain des Blanc, à notre disposition, était un arbre au tronc tout biscornu qui faisait nos délices, car on pouvait s’y installer et jouer à la belle au bois dormant.

Mais, malgré les jours heureux d'avant-guerre, il y avait une ombre au tableau, la promiscuité bruyante et taquine des 5 gars Declerck qui nous terrorisaient Marcelle et moi. Leur mère louait, à chaque vacance, une maison et un grand jardin, situés dans le bas de la côte et les garçons montaient souvent pour rejoindre leurs calmes cousins, Jack et Jean Basille...Je me revois, tremblante de frousse, ligotée à un arbre, pas loin de la ferme de José et Léa Thieullent...

Les 5 Declerck avaient construit un radeau « le Vaucottes » qui coulait pour un oui, pour un non.

Quant aux baigneurs, il fallait qu'ils se méfient beaucoup de notre gros chien de terre-neuve, Pilote, qui, les pensant en péril, avait la mauvaise habitude de se précipiter à l'eau pour les ramener lourdement au rivage au risque de les noyer.

Nous courrions des heures, pieds nus sur le galets et nous faisions des parties de pêche dans les rochers découverts à marée basse...Il me semble entendre encore le cri lancinant des mouettes et sentir la bonne odeur des vagues.

Un jour, la pauvre tante Georgette resta éberluée de voir sa maigrichonne nièce de 7 ans, Lisbeth, enlever rapidement son maillot de bain, rouge, et remonter au chalet toute nue, ayant craint la réaction de paisibles vaches qui ruminaient sur le bord du chemin....

Un jeu passionnant était celui du bijoutier, nous ramassions, sur la plage, des coques desséchées qu'avec deux petits galets nous transformions en anneaux puis en bagues en y glissant des minuscules bouts de verres dépolis par la mer....

Je ne sais si beaucoup d'enfants ont eu des vacances aussi heureuses que celles passées, avant-guerre, à Vaucottes, par toute notre équipe.

Par contre, quand la nuit tombait, en regardant au travers des grandes baies, j'avais peur de ce noir absolu.

Un bruit qui m'a longtemps suivi, est celui de la manivelle de la belle Peugeot noire, tournée par papa, fort énervé ; à cette époque, les voitures tombaient souvent en panne et pas un chauffeur ne se déplaçait sans une grosse corde dans le coffre.

Le dimanche soir, à moitié endormie dans le fond de la Peugeot, je faisais une prière « mon Dieu, faites que la voiture reparte » en entendant les jurons de mon malheureux père de famille.

Notre plaisir était aussi d'aller faire les courses à Yport, à pied, bien sûr, sur le retour nous grignotions des olives vertes achetées à la charcuterie.

Outre les Declerck, dans un autre genre, parmi les plus âgées, une grande rivalité existait entre les bourgeois habitant dans les belles propriétés de la colline d'en face et nos parents résidant au rayon « cabanes à lapins »ou « village nègre », comme les appelaient les autres. Si bien que Monsieur Capard, pilote, résidant au bout de la falaise, de notre côté, avait fabriqué un grand drapeau, flottant au vent, portant une tête de noir faisant un pied de nez aux snobs d'en face.

De plus, « le club des Pieds Nickelés » dont faisait partie les Jillet, Basille, Capard, etc...singeant leurs voisins, vêtus de capes chics comme les leurs, munis de barbes postiches, cannes distinguées en main, se promenaient le soir, sur l'autre colline, narguant leurs voisins richards....Jeux, rires, soleil, vent, amitié, jeunesse, joie...Toute une équipe d'avant-guerre, bien lointaine.




Ces dernières vacances Vaucottoises sont encore bien vivaces dans ma mémoire.

Par la suite, tous les chemins des falaises seront minés, il n'était plus question d'aller par là ! Par miracle, le plan d'implantation des mines sera, paraît-il, retrouvé à la fin de la guerre sur le corps d'un soldat Allemend décédé.

Comme l'a indiqué Jeannette Boutemy dans son « Journal de guerre 1939-1942 » les falaises se hérissent de barbelés et de mines....donc, plus question d'aller en villégiature à Vaucottes !

De plus, maman, avec son bon cœur légendaire, prêtera tous les meubles de « çam'suffit » à une famille sinistrée de Fécamp.

Mais pour le moment la vie est belle.....ivres de grand air, de soleil et de liberté, nous étions les rois et bien loin du monde cruel de la guerre.

Il y avait une distraction ,peu recommandable, qui nous captiva vite, car elle avait le parfum du fruit défendu.

Figurez-vous que, en douce, nous fîmes, petit à petit, « ami-ami » avec un jeune soldat allemand en faction sur la colline d'en face, à proximité de la villa haute, pas encore détruite en ce début d'occupation. Il mettait sur l'épaule des deux gars ravis, son fusil et, sur leur tête, son casque ; il nous prêtait ses jumelles pour observer la mer. D'après Gérard, les blockhaus n'étaient pas encore construits et , pour se distraire et nous épater, le pauvre bougre tirait des coups de fusil sur les galets. Pendant ce temps-là, maman préparait de grosses platées de marmitage pour les affamés et, à l'heure du repas, on l'entendait criait, d'une colline à l'autre, « oh, oh ! », et le jeune soldat qui voulait nous faire comprendre qu'il fallait repartir nous disait « papa, haut ! », si bien que nous le surnommâmes « Papao ». Hélas ! Nos petites parlottes, bien innocentes, ne durèrent pas, car notre voisine et amie, Madame Basille, surprit notre manège et en informa maman et cela nous valut de sévères semonces pour « crime d'intelligence avec l'ennemi !».

Ainsi s'acheva, dans la honte, notre collaboration avec Papao.

Mais, beaucoup plus grave, survint un événement qui aurait pu prendre une tournure dramatique.

A l'entrée du chemin de la falaise, menant chez nous, était la villa Rose. Avant-guerre, j'y avais, émerveillée, était invitée à déjeuner chez les propriétaires, de riches bourgeois, fort sympathiques cependant (la petite fille de la maison se prénommait Martine). Un monte-charge, rempli de victuailles, partait de l'office du sous-sol jusqu'à la salle à manger où, comble du chic, une soubrette en tablier et bonnet blancs, servait ses maîtres....comment aurais-je pu oublier cela !? (Note de Guy Watine: Il doit s'agir « des Mouettes » dont le monte-charge a beaucoup été utilisé par les enfants [malgré l'interdiction])

Horreur ! Durant ces fameuses vacances Vaucottoises, voici qu'une aller-venue louche, un drôle de trafic, se passa devant la Villa Rose : un gros camion allemand est devant la porte, meubles, objets de toute sorte se trouvent pèle mêle dans l'herbe du chemin. Maman comprit tout de suite ce qu'il se passait, il s'agissait d'un pillage par des soldats allemands.

« Ah, non ! Je ne vais pas laisser faire ! J'y vais... » Et voici, ma mère, courageuse jeune femme de 40 ans, suivie par les cinq gamins terrorisés, galopant jusqu'à la Villa Rose distante de 100 mètres environ.

Voyant arriver ma mère, revendicatrice et virulente, les soldats essayèrent de l'intimider en l'injuriant, en allemand, bien sûr.. « Cause toujours, mon cochon, je ne comprends rien à ce que tu dis, mais tu ne toucheras à rien de tout cela »...

S'agissait-il de « l'énorme type vulgaire, une vraie brute » dont parle Jeannette Boutemy dans son journal, toujours est-il que j'ai souvenance d'un grand gaillard secoué par maman qui voulait absolument attraper son ceinturon : « montre ton numéro de matricule, mon cochon..on va voir... » Le type leva la main sur maman comme pour la frapper, mais, attiré par le boucan, voilà qu'arrive, en renfort, un brave homme voisin, le père Simon, qui comprend vite la situation : « Ça va tourner au sur, dépêche-toi, ma petite fille, d'aller chercher l'officier Allemand qui habite dans une villa d'en face »; je crois que personne au monde n'a pu courir aussi vite que la petite Lisbeth Jillet, âgée de 12 ans, avec ses jambes maigrichonnes.

Pour qui connaît le site de Vaucottes, il y a quand même fallu foncer un bout de chemin des falaises, descendre la sente à toute allure, remonter de l'autre côté...ensuite mes souvenirs s'embrouillent, par la frousse d'antan, je pense, mais je me souviens d'un soldat roux et d'un officier très correct qui se sont amenés vivement vers la Villa Rose, juste pour voir le camion « des boches » déguerpir.

Maman n'était pas seulement une femme courageuse, elle était aussi très bonne, d'abord pour avoir sauver le bien de ses voisins qu'elle connaissait assez peu finalement, mais surtout qu'elle eut en entendant le verdict sévère de l'officier envers les pillards : « Pourvu qu'on ne les envoie pas se faire tuer sur le front russe ».

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